Le chef français Adrien Perruchon avait envie de nous partager une série de chroniques allant de son Top 5 musical aux artistes qui ont influencé sont parcours musical. Il nous dévoile également l’une de ses grandes passions méconnues!

OSQ : Nous sommes curieux de connaître vos goûts musicaux. Quelles œuvres musicales font partie de votre Top 5?

Adrien Perruchon : Choisir c’est renoncer, mais prêtons-nous au jeu :

    • Sonate en Sib majeur D960 – Schubert
      On y trouve au clavier le concentré du génie schubertien, la voix, l’orchestre, l’expression pure des sentiments humains, tout y est. Et qui sait où il nous aurait emmenés s’il n’était pas mort si jeune. Même si j’aime toujours découvrir de nouvelles versions des œuvres chères, surtout en concert, je reviens à l’enregistrement d’Alfred Brendel lors de ses concerts d’adieu.
    • Penny Lane – The Beatles
      De toutes les chansons pop-rock, c’est un des plus beaux exemples de mélange universalité/complexité. Tout le monde peut chanter et retenir la chanson, mais c’est aussi une mélodie et un chemin harmonique tout à fait singuliers et en fait très élaborés. Je me revois enfant au piano cherchant ces accords et griffonnant la grille d’accords sur un cahier (en imitant la voix de Paul McCartney, bien sûr).
    • La Mer – Claude Debussy
      Comme certains grands tableaux qui révèlent une multitude de détails à chaque visite, c’est une partition que l’on peut ouvrir chaque jour de sa vie et y trouver de nouveaux éléments, une nouvelle lumière sur tel ou tel passage. C’est d’ailleurs une œuvre que Debussy retoucha énormément, se contredisant parfois selon les différentes expériences de concert qu’il a pu avoir, et il n’y a donc pas de version « définitive », chacun pouvant faire son marché dans la multitude de révisions. Pierre Boulez recommandait d’ailleurs aux étudiants de se procurer la partition la moins chère qu’ils trouvent! En prenant la direction du légendaire Orchestre Lamoureux, j’étais bien sûr honoré de cette longue histoire musicale et notamment la création de ce chef d’œuvre. Nous avons en bibliothèque un matériel datant du vivant de Debussy, et annoté par Toscanini!
    • Exit Planet Dust – The Chemical Brothers
      Une madeleine de Proust, plutôt de mes années lycée. C’était le plein essor de la musique électronique qui utilise notamment des échantillons sonores d’enregistrements et d’instruments acoustiques. Maintenant, certains titres de cette époque sont devenus des classiques et ont été transcrits pour orchestre ou ensemble, par exemple l’album « Alarm Will Sound performs Aphex Twin », si j’ose dire, la boucle est bouclée!  Dans le même ordre d’idée, la musique de Steve Reich, acoustique et née de l’électronique, se trouve de nos jours elle aussi échantillonnée et « remixée ».
    • Deuxième Symphonie – Mahler (Seoul Philharmonic Orchestra, Myung-Whun Chung, MyungJoo Lee, Petra Lang)
      D’abord pour la musique de Mahler. Il disait que chaque symphonie est une vie entière du début à la fin, et c’est, je crois, cette sensation d’avoir parcouru ce chemin ensemble qui fait de chaque exécution un moment de communion entre tous, interprètes et public. Cette version de l’œuvre de Mahler a pour moi une importance toute particulière, car j’y ai participé en tant que membre de l’orchestre, et c’est aussi à cette occasion que j’ai rencontré celle qui est devenue mon épouse, la soprano MyungJoo Lee que le public québécois pourra découvrir cette saison dans le rôle-titre de Madama Butterfly.

OSQ : Outre la musique, quelle est l’une de vos autres grandes passions?

A.D. : Dans les moments de calme, nous aimons nous retrouver chez nous autour de bonne cuisine faite maison. À l’image de notre famille, les repas sont généralement un joyeux mélange de plats Européens et Coréens et nous nous répartissions les spécialités – plutôt la partie coréenne pour ma femme et, disons, le reste du monde qui me revient (cela me permet aussi d’expérimenter avec de nouvelles recettes avec plus ou moins de succès). Paris, où nous vivons, est une ville culinaire formidable, et y faire son marché est un plaisir, mais nous aimons toujours rapporter des choses de nos voyages – il faut d’ailleurs que je pense aux spécialités québécoises à prendre dans mes bagages!

C’est vrai que la cuisine est une activité assez répandue chez les musiciennes et musiciens ; outre le côté apaisant et cathartique de s’appliquer à autre chose que la musique, je trouve que le fait de composer avec des éléments donnés et d’essayer d’en obtenir le meilleur résonne parfaitement avec la quête de l’interprète, peut-être tout particulièrement via la direction d’orchestre.

OSQ : Qui sont les artistes qui vous ont influencé en tant que musicien et chef d’orchestre?

A.D. : Dans les interprètes : Maria Joao Pirès, le récemment disparu Nicholas Angelich, un poète, Myung-Whun Chung, de qui j’ai tant appris.

Dans l’histoire : Nadia Boulanger, qui assumait et insistait auprès de ses élèves sur le côté « artisan » des activités musicales. Esa-Pekka Salonen, un autre de mes maîtres, rejoint cette pensée à propos de la direction d’orchestre, une activité qui paraît parfois mystérieuse et nimbée d’un certain folklore, mais qui, en fait, s’apprend, a ses techniques, pour ensuite arriver à un résultat personnel.

Je trouve toujours stimulant et inspirant de redécouvrir une œuvre par le prisme d’un autre artiste. C’est le cas bien souvent pour un concerto ou les solistes apportent leur vision musicale, à l’opéra aussi bien sûr avec les artistes lyriques. Sur ce répertoire, travailler au côté de personnalités comme Katie Mitchell ou Barrie Kosky, dont les concepts de mise en scène sont véritablement en dialogue avec les partitions furent des expériences extrêmement enrichissantes.

OSQ : Le Concerto pour orchestre de Bartók semble avoir marqué votre parcours en tant que musicien. De quelle façon vous a-t-il influencé?

A.D. : Le Concerto pour orchestre de Bartók, bien nommé puisqu’il donne à chaque instrument des moments pour briller et exposer ses différentes facettes est de fait un formidable « guide d’initiation à l’orchestre » je dirais pour tous les âges et les niveaux. Plus encore que Pierre et le Loup de Prokofiev (où de nombreux instruments sont absents) ou que le Guide de l’orchestre pour les jeunes de Benjamin Britten (trop réducteur, car il regroupe systématiquement les instruments uniquement en familles).

C’est donc avec cette pièce de Bartók, donc, que je me souviens avoir eu le coup de foudre pour le basson, qui fût mon deuxième instrument après le piano et donc mon premier instrument orchestral.

Dans le deuxième mouvement, le « jeu des couples », deux bassons chantent ensemble dans le très beau registre médium-aigu de l’instrument ce qui m’a immédiatement séduit, mais alors que ce duo revient à la fin du mouvement, un troisième basson (papa l’appelait le trublion) vient s’immiscer dans la conversation, sur un tout autre registre, interrompant, débordant, et montrant par la même occasion encore un autre caractère de l’instrument.

J’étais conquis et me suis efforcé d’apprendre à toute vitesse les notes nécessaires à jouer ce morceau du trublion, m’enregistrant à la maison sur un appareil cassette multipiste avec le duo joué au piano (les notes aiguës étaient trop difficiles pour un bassoniste débutant!).

Je me réjouis que le public de l’OSQ puisse apprécier, à travers le génie de Bartók, toutes les qualités individuelles et collectives de son orchestre!

Retrouvez le chef français Adrien Perruchon lors de notre concert Lise de la salle joue Beethoven le 7 décembre à 20 h et le 8 décembre à 10 h 30 au Grand Théâtre de Québec!