Dans les chroniques Sources d’inspiration, découvrez les personnalités qui ont influencé le parcours musical de nos invités! Ici, le ténor québécois Eric Laporte nous parle des 5 personnes qui ont le plus influencé sont parcours en tant qu’artiste de la scène.  Monique Miller, Joseph Rouleau, Fritz Wunderlich, Nicolai Gedda, Raoul Jobin… Découvrez de quelle façon ils ont inspiré Eric Laporte!

Il me fait extrêmement plaisir de vous partager quelques expériences de contacts m’ayant nourri et inspiré dans mon parcours artistique. Certaines de ces personnes furent dans mon entourage immédiat, tandis que d’autres existent pour moi à travers leurs voix et histoires. Mais chacune d’entre elles a façonné irrémédiablement mon identité, mes idéaux et mes rêves!

– Eric Laporte

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Monique Miller

Je crois que l’influence exercée sur moi par la sœur de ma mère, Monique, lui a été inconnue jusqu’à ce que je lui fasse mes « aveux artistiques », il y a quelques années! Ayant grandi à Québec, ma maman « m’amenait » voir sa sœur jouer au théâtre à chacun de ses passages, en ne se doutant point de ce qui était en train de germer à chaque fois. Monique a été pour moi, du plus loin que je me souvienne, une tante à la fois hors du commun et la plus naturelle de toutes. À ses visites, la maison s’emplissait de ce que je ne pouvais définir, une lumière qui me donnait le goût d’être moi-même. Il m’aura fallu la voir sur scène encore plusieurs fois avant de comprendre… C’est au contact de sa Martha dans « Qui a peur de Virginia Woolf? », dans une production du Théâtre du Bois de Coulonge, que du haut de mes 17 ans la foudre me frappa! J’avais compris qu’elle ne jouait pas, mais était sincère, devant nous tous. Ces expériences, enrichies du privilège de visiter les coulisses, de sentir l’odeur des loges (oui, cela a une odeur semblable, dans tous les théâtres!), me fit premièrement désirer ce grand métier d’acteur. Jusqu’à ce jour, cela guide également mon jeu: en société, nous devons jouer beaucoup, sur scène, pas du tout. Merci Monique.

Joseph Rouleau

J’étais un néophyte, pour ne pas dire un ignorant de l’opéra quand je me présentai à mon audition de chant à l’UQAM, afin d’être admis en musique populaire. Il fallait pratiquer un instrument classique à l’époque, pour la première année du programme, et puisque j’avais complété pour la même raison mes études collégiales en chant classique, me voilà devant Joseph Rouleau et Colette Boky (que je ne connaissais pas). Après mon premier air, Joseph dit à Colette : « Il a un contre-do dans la voix. ». Je demandai : « Pardon monsieur, mais qu’est-ce qu’un contre-do ? ». Joseph, avec grande sagesse, me dit : « Occupe-toi pas de ça mon gars. ». Il avait non seulement raison, mais surtout un mentorat et une grande amitié venaient de naître. J’hésitais énormément entre des études musicales et de théâtre. Joseph m’invita à participer à l’atelier d’opéra, et c’est grâce à cette expérience que je vécus pour la première fois le mariage musique – théâtre, la piqûre définitive. Je changeai de programme, j’allais devenir ténor d’opéra. Joseph ne compta jamais ses heures et son énergie afin de me transmettre son grand savoir et sa passion. Il fut d’un soutien indéfectible lors de chacune des étapes de mon parcours, de mon concours à Vienne jusqu’aux prises de rôles de ténors héroïques, plus récemment. Il me manque beaucoup. Merci Joseph.

PHOTO OPERA CANADA
PHOTO EVA WUNDERLICH

Fritz Wunderlich (Fritz Merveilleux, c’est son nom, sérieusement!)

Au collégial, ma première professeure de chant, Danielle Demers, avait avec grande gentillesse, tout fait pour m’attirer vers le lyrique, me conseillant notamment l’écoute de plusieurs ténors. Je n’étais pas prêt, à ce moment. Plus tard, après avoir pris la décision d’entreprendre une carrière lyrique, il restait ce détail (plusieurs même!) : définir mon identité vocale et mon goût! Je me mis à l’écoute, avec plusieurs belles découvertes. Mon premier coup de foudre chantait dans une langue que je ne comprenais pas, jadis: Fritz Wunderlich, originaire du Palatinat en Allemagne. Je n’ai évidemment jamais rencontré cet artiste, décédé tragiquement à l’âge de 35 ans. Cependant, c’est lors de mon premier séjour européen, en voyage de l’Autriche vers l’Italie, à Innsbruck en montagne, que son cycle « An die ferne Geliebte » (Beethoven, « À l’amoureuse lointaine » avec Heinrich Schmidt au piano) me fit sentir à la maison, malgré l’exotisme omniprésent. La destination de ce voyage était Vérone, où j’ai décroché mon premier engagement professionnel. Je me mis à écouter tous ses enregistrements, à lire sur sa vie, et j’identifiai ce qui me touchait à ce point: la simplicité, la chaleur humaine, l’absence d’artifice, et ce dans chacune de ses syllabes, mots, phrases et mélodies. Il m’accompagne toujours aujourd’hui, dans les bons et moins bons moments. Merci, Monsieur Wunderlich.

Nicolai Gedda

Au fils des 54 rôles que j’ai étudiés jusqu’à présent, celui m’ayant donné la leçon le plus fréquemment fut sans aucun doute Nicolai Gedda. Ce ne fut cependant jamais en personne! À l’étude d’un rôle, une des étapes consiste pour moi à faire le tour des enregistrements disponibles, afin de dresser l’inventaire des traditions musicales auxquelles nous sommes tous confrontés, à un moment ou un autre. Je choisis ensuite un ou deux enregistrements afin de m’imprégner des parties orchestrales. La direction musicale, mais aussi le timbre, la technique vocale et la musicalité de l’interprète du rôle dans lequel je vais débuter sont déterminants dans ce choix, et c’est ainsi que j’ai été l’élève de Nicolai Gedda des dizaines de fois. Sa diction impeccable, sa précision musicale ainsi que sa technique m’ont toujours grandement impressionné. Mais surtout, le fait que ces aspects techniques soient toujours chez Gedda au service de l’expression dramaturgique du livret et de la partition, sans jamais les sacrifier, est un idéal que j’ai pris en héritage. Je l’ai entendu une fois en concert lors de mon premier séjour à Vienne, au Theater an der Wien. Il était âgé de 74 ans, et la voix était fraîche et harmonieuse. C’est l’unique fois où je me suis présenté à l’entrée des artistes après un concert. Je lui ai serré la main et nous avons fait une photographie. Il fut très gentil, mais mon émotion m’empêcha de me présenter et d’échanger plus longuement! Merci, Monsieur Gedda.

PHOTO NYSTENL-WIKIMEDIA

Raoul Jobin

L’identité et le rêve, pour un ténor de Québec se dédiant au répertoire héroïque, c’est Raoul Jobin. Mon mentor et ami Joseph Rouleau m’a parlé longuement de Monsieur Jobin, au début de mes études. Joseph admirait celui ayant pavé la voie à plusieurs générations de chanteurs québécois, par sa renommée internationale, déjà dans les années 30! Je n’en saisissais pas encore toute l’importance, au début de ma carrière. Tout ceci était le passé! Au fil de mes saisons théâtrales en Europe, plusieurs collègues et membres du public, sachant que je suis québécois, me rappelaient leur admiration pour les enregistrements de Monsieur Jobin. C’est ainsi que je commençai à prendre conscience de sa notoriété et de sa signification, à des milliers de kilomètres de la ville où nous sommes nés, lui et moi. Par la suite, mon évolution vocale m’amenant vers les rôles plus héroïques, je me mis à l’écouter plus attentivement. Que de bonheur entremêlé de fierté à l’écoute de ses enregistrements, son Hoffmann entre autres, plein de puissante intelligence! Évidemment, je n’ai aucun mérite dans ce qui m’est donné d’entendre, mais le fait d’être moi aussi de Québec, d’interpréter le même répertoire, jumelé à l’admiration que je ressens pour Raoul Jobin créent une forme d’identité et d’exigence qui me sont très chères. Merci, Monsieur Jobin.

Retrouvez le ténor Eric Laporte lors de notre concert Noël en chœur
les 15 et 16 décembre 2022 à 19 h 30 au Grand Théâtre de Québec!