Liste d’écoute de Jean-Christophe Guelpa

Violoncelliste à l’Orchestre et auteur de polars, ce féru d’écriture qui a commencé le violoncelle à l’âge de 8 ans vous propose sa liste d’écoute, accompagnée – amoureux des mots oblige – de notes personnelles pour chacun des titres.

 


Chaque étape de notre vie est enrichie par des morceaux qui façonnent notre univers artistique.

Pour vous, j’ai donc décidé d’oublier le présent pour me plonger dans le passé afin de retrouver ces piliers qui ont bâti toute ma maison musicale aussi bien en musique classique que populaire.

– Jean-Christophe Guelpa, violoncelliste

 

Johann Sebastian Bach : Variations Goldberg, Glenn Gould.

Version de 1981, première partie.

Bach ! À tout seigneur, tout honneur. Je ne peux rien ajouter à tant de beauté. Si Glenn Gould a eu autant de réactions contraires, c’est bien la preuve qu’on ne peut être indifférent dès que ses mains effleurent un clavier. Il souligne chaque ligne. Tout est important. Il nous rend plus intelligents, car on comprend. Cette clarté qui fatigue certains me fascine. On aime ou on déteste, c’est parfait, puisque pour moi le consensus ne peut exister en art.

 

Johannes Brahms,  Ein deutsches requiem, deuxième partie : « Denne alles Fleisch… »

Quel véritable choc musical je reçus, lorsque j’entendis ce Requiem pour la première fois avec l’Orchestre National de France dans la majestueuse cathédrale Notre-Dame de Paris ! Les sons virevoltaient dans la nef et les transepts. Je me souviens encore de ce second mouvement qui débute avec un ostinato de basse tout en retenue pour éclater plus tard dans un « forte » à faire frémir les vitraux. J’aime cette version de l’orchestre philharmonique de Vienne avec Karajan à son meilleur. Malgré une prise de son ancienne, toute la profondeur intense de cette œuvre explose dans cette interprétation en concert.

 

 

Jean-Baptiste Lully : Marche pour la cérémonie des Turcs

Orchestre « Les Siècles », direction François-Xavier Roth

Pourquoi ce choix ? Pour plusieurs raisons bien personnelles. Comme jeune violoncelliste je connaissais mal l’œuvre de ce compositeur. Un jour pluvieux, je tombais sur la thèse de doctorat en musicologie de ma sœur : « les scènes de sommeil dans les opéras de Lully ». Elle avait écrit quelque trois cents pages sur ce sujet ! Je découvrais tout un univers. Plus tard, en 1991, je suis allé à la première du film « Tous les matins du Monde » d’Alain Corneau. De rencontrer les acteurs et le réalisateur, d’apprendre tous les secrets de tournage avec en toile de fond l’interprétation magique de Jordi Savall, a sans doute ajouté au plaisir répété que j’ai d’écouter cette musique intemporelle. Finalement, nous avons joué récemment cette pièce extraite du bourgeois gentilhomme de Molière avec l’OSQ, en collaboration avec le conservatoire. J’ai donc eu enfin la joie de jouer cette musique… Cette version en concert de F.X.Roth me plait particulièrement par son dynamisme et son interprétation originale dont la longue introduction attise notre curiosité à découvrir la suite.

 

 

Dimitri Shostakovich : Concerto no 2 pour piano, andante

Maxim Chostakovitch, chef, Dimitri Chostakovitch Jr, I Musici de Montréal.

Voilà probablement un de mes compositeurs préférés. J’avoue que toute son œuvre me fascine. Difficile alors de choisir parmi tant de morceaux aussi beaux dont je possède la discographie complète. J’ai porté mon choix sur cet extrait pour toute la poésie qu’il dégage. Fils et petit fils du compositeur se joignent à I Musici de Montréal dont le chef, le regretté Yuli Turovski fut mon professeur.

 

 

Arcangelo Corelli : Variations sur « La Follia ».

Frans Brüggen, flûte à bec, Anner Bylsma, violoncelle et Gustav Leonhardt, clavecin.

En tant que violoncelliste, je connaissais bien ces variations pour viole de gambe de Marin Marais. Lorsque je découvris cette version, je tombais sous le charme de cette sonorité unique et d’une incroyable beauté de la flûte à bec. On était très loin de mes souvenirs de cours de musique à l’école avec notre flûtiau en plastique ! Et que dire du jeu si brillant de ces trois interprètes ?

 

 

Elton John : Sixty Years on, extrait de l’album « Elton John », 1970.

J’ai 15 ans, un camarade de classe me dit un jour : « Eh ! Toi qui es violoncelliste, est-ce que tu as déjà entendu ça ? »  Je n’étais pas familier avec la musique populaire. Le peu que j’en connaissais ne me touchait guère. Ce début de chanson fut pour moi une révélation ! L’instrumentation, la mélodie, la voix déchirante formaient un ensemble d’une rare puissance émotive. Tout l’album éponyme de ce chanteur est d’une richesse musicale et d’une grande poésie et laissait percevoir un talent qui depuis, a traversé des décennies. J’avoue être devenu depuis un véritable admirateur de ce compositeur aussi fantasque qu’inspiré.

 

 

Diane Dufresne : Le parc Belmont, avec l’OSQ en 1988.

1978. Un ami m’invite à un spectacle d’opéra rock. « C’est un événement », m’affirme-t-il ! Honnêtement, j’y vais presque à contrecœur. Musicien classique de 17 ans, un brin puriste, l’idée d’écouter des chanteurs populaires francophone dans un simulacre d’opéra ne me tentait guère. Tout le début de Starmania me laissa d’ailleurs un peu froid. Soudain apparut Diane Dufresne dans « les adieux d’un sexe symbol ». Là, je suis resté sans voix devant justement cette voix incroyable de puissance émotive. Plus récemment, j’ai eu le plaisir de l’accompagner avec l’OSQ. Dans son riche répertoire, j’ai choisi cette chanson dans une vidéo avec notre orchestre. À cette époque, je n’y étais pas membre, mais ma femme y participait et elle a encore les yeux qui brillent lorsqu’elle parle de ce concert mémorable. L’image n’est certes pas parfaite, mais admirez quand même cette robe unique !

Je me rends compte que ces deux choix précédents ont une certaine similarité. La folie artistique et l’excentricité vestimentaire de ces deux artistes cachent une émotion à fleur de peau. Ils ont ouvert mes oreilles à un univers populaire. Grâce à eux, j’ai pu découvrir de nombreux artistes dont les chansons sont de véritables pépites musicales.

 

 

Grand corps malade : Dimanche soir, extrait de l’album « Plan B », 2018

J’ai toujours aimé les mots (mon violon d’Ingres étant l’écriture) et quelle merveilleuse façon de les raconter! Voici un titre parmi tant d’autres où on se laisse caresser par de la poésie actuelle, pure et simple.

En terminant, dans cette période incertaine où la pandémie gruge notre vie culturelle, on ne devrait pas oublier les mots de Winston Churchill qui, face aux députés qui voulaient supprimer les subventions à la culture durant la Seconde Guerre mondiale, avait dit :

« Mais alors, pourquoi allons-nous nous battre ? »