Clemens Schuldt et la passion de programmer

Journal Le Devoir – Christophe Huss
28 octobre 2023

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Le nouveau directeur musical de l’Orchestre symphonique de Québec s’installe tranquillement à son poste. Il revient dans la capitale nationale pour diriger le 1er novembre la Messe en ut (Messe en do) de Mozart, alors que le répertoire des grandes œuvres sacrées a été passablement abandonné par les orchestres symphoniques ces dernières décennies. Nous avons voulu discuter avec Clemens Schuldt de ses axes de programmation pour sa première saison.

Certes, grâce à La Chapelle de Québec, associée aux Violons du Roy, le répertoire sacré baroque et classique n’est pas forcément oublié ici, mais des piliers des programmations symphoniques d’il y a quelques décennies, comme la Missa solemnis de Beethoven ou la Messe en ut de Mozart, voire son Requiem, ne se rencontrent plus guère dans les programmations de l’OSM, de l’OM ou de l’OSQ.

En abordant la Messe en ut, messe inachevée de Mozart, pour son troisième concert, Clemens Schuldt était-il conscient de ce fait ? « Je m’intéresse de plus en plus à la culture québécoise et je remarque seulement maintenant le tournant de la Révolution tranquille et l’influence qu’avait l’Église auparavant. Partout, il y a ces noms de saints et ces églises. D’un autre côté, une société qui a dit : “Nous ne voulons plus de cette influence cléricale dans nos vies.” Je spécule peut-être en disant que c’est pour cela que les œuvres sacrées se sont effacées des saisons symphoniques. Dans ma vie — je suis protestant —, j’ai un rapport très naturel et positif à la religion, et j’ai donc un rapport très positif à ce répertoire qui m’élève et me touche. »

Solistes rafraîchissants

Clemens Schuldt, qui s’impatiente de programmer le Requiem allemand de Brahms, l’une de ses partitions préférées, trouve qu’il est fascinant de voir comment Mozart fait voisiner la vie et la mort, la joie et la douleur. « Que l’on soit croyant ou non, la musique touche et au bout du compte, même si on est athée, on peut aborder la composition comme une réflexion sur la vie et la mort. Émotionnellement, chacun y puise ce qu’il veut. Je me réjouis donc de diriger cette Messe en ut, car même si ce n’est qu’un fragment, celui-ci est d’une beauté si invraisemblable qu’il faut le jouer. »

Dans l’annonce de la première saison du nouveau chef de l’OSQ, on a beaucoup remarqué le concept des « solistes de Clemens Schuldt », si bien que l’on se demande en quoi des visiteurs d’un soir peuvent être si importants. « Il faut faire un mélange entre solistes connus de l’orchestre, comme Stéphane Tétreault, qui a ouvert la saison, et quelques-uns de mes solistes préférés que je connais, des musiciens qui aiment la découverte. Ceux que j’ai invités sont “rafraîchissants”, que ce soit dans leur personnalité ou dans leurs interprétations. »

Ils ont surtout une qualité un peu particulière : plusieurs d’entre eux sont prêts après un concert à improviser ou à faire des choses qui sortent de l’ordinaire. Ainsi, après son concert inaugural, Clemens Schuldt avait convié les spectateurs qui le désiraient à rester dans le hall du Grand Théâtre où son soliste du 1er Concertode Tchaïkovski, le pianiste Simon Trpčeski, lui-même au violon et trois musiciens de l’OSQ ont joué du folklore macédonien pour de 250 à 300 personnes : « Cela fait plaisir, fait plaisir aux gens et renvoie tout le monde à la maison avec un gros sourire aux lèvres en leur montrant que nous savons faire bien d’autres choses que du “classique sérieux”. »

Clemens Schuldt promet déjà une soirée klezmer après un programme comportant une partition d’inspiration hébraïque et attend impatiemment la venue du violoniste Augustin Hadelich. « C’est un ami de longue date. Nous avons joué des duos de violon à douze ans dans des camps d’été musicaux. C’était important pour moi de l’avoir lors de ma première saison à Québec. »

Aux yeux du directeur musical, cet échange avec les solistes après les concerts vise à montrer au public son « approche créative par rapport au concept de concert, au-delà du schéma ouverture-concerto et symphonie ».

Échanges nationaux

« Avant la Messe en ut de Mozart, je vais créer une dramaturgie, promet le chef. Dans la première partie, Ave Verum de Mozart, Sinfonia da Requiemde Britten et Pavane de Fauré (dans la version chorale) seront joués sans pause comme une sorte de voyage émotionnel. La musique céleste de l’Ave Verum sera détruite par les timbales de la Sinfonia, qui nous plongera sur le chemin des enfers. Puis, après une rédemption, éclora ce chant doux de Fauré. Je vais jouer sur de tels éléments à l’avenir pour créer des moments de surprise. »

Clemens Schuldt va aussi parfois lancer un concert sur une intrada aux instruments à vent, ou bien ajouter un rappel, à l’image du prélude au 3e acte de Lohengrin lors du premier concert.

Cette soirée-là, il l’avait commencée avec À perte de vue… de Keiko Devaux. « Je voudrais ouvrir les oreilles pour que la création contemporaine soit considérée comme quelque chose d’accessible et d’enrichissant. Je pense que l’orchestre était plus conservateur ou prudent, avant », constate le chef sur le thème de la musique actuelle. Le but de Clemens Schuldt est de ne « pas effaroucher » : « Je voudrais que les gens disent : “C’était différent ; j’ai découvert quelque chose.” Il en ira de même, bientôt, avec Masquerade d’Anna Clyne. »

Comment a-t-il fait si rapidement un tri dans le répertoire contemporain canadien ? « Pendant la pandémie, j’ai appris à rechercher. Pendant trois mois, je me suis plongé dans les compositions de l’ex-Allemagne de l’Est. Un pan de la musique voulait être dans le moule politique et esthétique soviétique. Mais il y avait aussi des anarchistes, quelques personnages que je voulais redécouvrir. Il en est résulté un CD avec mon orchestre à Munich. Du coup, j’ai acquis une sorte de discipline. J’ai fait des recherches ici à Ottawa ; consulté des banques de données ; écouté plein de compilations enregistrées ; interrogé de nombreux éditeurs sur les talents canadiens. » On comprend aussi qu’il a eu quelques conseils d’Ana Sokolovic. « C’est ainsi que je suis tombé sur Keiko Devaux, qui m’a impressionné pour son univers sonore. »

Cette saison, l’OSQ se réunira avec l’Orchestre du CNA pour jouer en tournée la 5e Symphonie de Jacques Hétu. « Je pourrais faire le fanfaron et dire que j’y suis pour quelque chose, mais ça a été mis en branle avant ma nomination. Ce que je peux dire, c’est qu’Alexander Shelley et moi nous connaissons depuis 20 ans. J’ai repris son orchestre d’étudiants à Düsseldorf et, alors que j’étudiais le violon, j’ai même joué sous sa direction. Que son orchestre et le mien fassent quelque chose ensemble possède une force symbolique immense et montre à mes yeux que l’OSQ doit être davantage présent dans la région et au pays. »

Le chef, qui vient d’engager quatre musiciens et renouvellera quatre ou cinq postes clés dans les mois à venir, entrevoit un « renouveau en dynamique et en qualité » et « un avenir où l’orchestre sera sonorement meilleur ». S’il considère que l’OSQ est « un orchestre pour la ville, les gens d’ici et [qu’il] va s’ouvrir encore plus à toutes les couches de la population », il pense qu’il doit se présenter dans d’autres villes canadiennes. « Je m’engagerai bec et ongles pour que le projet avec Alexander Shelley ne soit pas sans lendemain. Il faut organiser des échanges et nous sommes à un bon point de départ. »

Clemens Schuldt envisage aussi la possibilité de diriger un jour un opéra à Québec, ce qui élargirait sa palette d’activités auprès de l’orchestre. « Cela servirait l’orchestre et j’aime l’opéra. J’ai fait la connaissance du directeur artistique de l’Opéra de Québec, Jean-François Lapointe, et nous devons prendre un café ensemble. Oui, sur le plan politique, cela aiderait tant l’Opéra que l’orchestre que j’y dirige. Mais je ne peux rien dire de plus pour le moment. On va d’abord boire un café! »